Dans la famille des généalogistes, il y a le fils aîné, le généalogiste familial, né sous la royauté, qui aide les particuliers à retrouver leurs ancêtres et constituer leur arbre. Mais il y a aussi le cadet, le généalogiste successoral, né au XIX e siècle, chargé de son côté de trouver coûte que coûte l'ensemble des héritiers lorsqu'un ou plusieurs d'entre eux manquent à l'appel. Ce qui est le cas dans 2 à 3 % des successions.
Leur point commun ? Ils farfouillent, sans relâche, dans les archives municipales, les listes d'état-civil, les fichiers
fiscaux, pour trouver des indices et identifier le chaînon manquant. Mais la ressemblance s'arrête là. D'abord, les successoraux sont avant tout des juristes qui connaissent sur le bout des
doigts le droit de la succession. « Nous n'avons pas le même métier, même si nous utilisons en partie le même matériau, explique Dominique Masson (notre photo), dont l'étude est à Lille. Le
généalogiste familial explore un temps plus ancien. Nous, on remonte jusqu'à six degrés de parenté, qui est le maximum légal pour hériter. On se limite donc aux
arrière-grands-parents. »
Le mythe de l'oncle
d'Amérique
Ce qui n'empêche pas qu'il y ait un côté détective chez le généalogiste successoral qui, dans 99 % des cas, est saisi par
un notaire qui a un doute sur le nombre d'héritiers. « C'est sûr qu'il faut aimer fouiner, et on ne sait jamais sur quoi on va tomber, mais c'est compliqué d'identifier l'ensemble des
héritiers et ensuite de trouver leur adresse. On fait d'ailleurs parfois appel à des agences de détectives », souligne Dominique Masson. Il y a des cas où c'est même très difficile, comme
lorsqu'il s'agit de trouver les héritiers d'une famille de bateliers...
Et de nous montrer le résultat d'une des enquêtes de son cabinet, résumée sur une feuille A4. Avant d'exhiber la matière
première qui a servi à la concocter : des dizaines de mètres d'arbre généalogique. « On ne peut pas se permettre de se tromper, il faut explorer toutes les pistes même si on n'a pas
d'obligation de résultat », poursuit Dominique Masson.
Et dans cette enquête, qui dure en moyenne un à deux ans, et parfois jusqu'à cinq ans, les généalogistes successoraux
sont amenés à aller aux quatre coins de la France, mais aussi dans le monde entier. Nathan Van Waas, qui dirige l'étude Exode à Aubry-du-Hainaut, dans le Valenciennois, est allé la semaine
dernière chez des Anglais dont une partie de la famille avait vécu au Canada et une autre en France. Il va aussi régulièrement en Pologne, avec le nombre important d'immigrés de ce pays présents
dans la région.
Et dans cette quête d'héritiers, les « successoraux » peuvent à la fois apporter une bonne nouvelle ou au
contraire réveiller des souvenirs enfouis ou des histoires douloureuses... « Des conflits peuvent remontent à la surface, estime Nathan Van Waas. Et il est toujours difficile d'annoncer à
quelqu'un, malgré un lien rompu, qu'un parent est décédé, surtout quand il s'agit d'un père ou d'une mère. »
Secrets de famille
Et ce n'est pas si rare puisque les enfants en ligne directe représenteraient un tiers des personnes recherchées. Dans ce
cas de figure, Dominique Masson a une règle : ne pas annoncer la nouvelle par courrier et éviter de le faire par téléphone. Parfois, son intervention peut aussi révéler des secrets familiaux,
toujours complexes à aborder, comme celui des enfants naturels. « Une fois, je cherchais les héritiers d'une dame qui vivait seule avec sa fille, raconte Dominique Masson. On a trouvé
d'autres frères et soeurs. Il se trouvait qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette femme avait quitté son foyer car elle était enceinte d'un officier allemand. On a plein d'autres
histoires comme ça. Et c'est toujours difficile de découvrir qu'un parent avait un pan de vie caché. » Mais le généalogiste successoral est parfois accueilli à bras ouverts. Comme lorsqu'il
apprend à un héritier la mort d'un parent qu'il n'appréciait guère. Ou parce qu'il lui révèle qu'il devient millionnaire, avec le vieux mythe de l'oncle d'Amérique. « Ça m'est arrivé une
fois ; avec le décès du dernier membre d'une riche lignée française de médecins, se souvient Nathan Van Waas. Je suis allé à l'étranger après avoir découvert un neveu éloigné, à l'époque, il
avait touché neuf milliards de francs... » Et puis tout simplement, il peut aussi y avoir le plaisir de découvrir une famille dont on ignorait l'existence. D'ailleurs, c'est ce que préfère
Dominique Masson dans son métier : « Quand on raconte à quelqu'un une histoire qui le concerne et qu'il ne connaissait pas, c'est clairement le moment le plus agréable. »