Histoire
d’une
baronnie en Bretagne
Aux
Frontières de Penthièvre
Ruines, souvenirs & légendes
du pays
du
Val-André
Par
Paul de
Chalus
Ancien
Magistrat
Paris
Librairie Historique des Provinces
Emile LECHEVALIER
39, Quai des Grands-Augustins, 39
1895
NOTES DE L’AUTEUR
I. — Dès les premières pages, le Vauclair est écrit Vaucler, suivant l’orthographe de tous ou de
presque tous les vieux actes consultés. (Voir Chap. VII. I).
II. — En donnant l’origine de la Hunaudaye (Chap. I) à laquelle M. Minet père s’efforce, en 1746, de rattacher les comtes de Rieux par Adélie de Penthièvre, aussi leur
aïeule, il omet de dire ici si ce fut cette même Adélie qu’Olivier de Tournemine eut pour mère ou grand’mère. Ce que nous savons, c’est que ce fut de ce côté maternel que vint à Olivier le pays
de Lan-Mur qui lui échut en partage en 1214, date de la fondation du château. (Voir Chap. I et II).
A VOL D’OISEAU
Ce petit livre comble une lacune, car le Val-André si proche du Vauclair devait prendre sa part de l’histoire
d’une Baronnie dont ce château, ses terres et sa justice n’étaient qu’un démembrement.
Si le Val-André n’eut pas alors de mention spéciale, c’est que plage et village ne valaient guère la peine
qu’on s’en occupât.
En faisant, un moment, de l’histoire contemporaine, nous rappellerons le nom glorieux de S. Exc. l’Amiral
Charner, dont le joli parc, a quelques pas de la mer (l’Amirauté), atteste le succès d’une création qui n’a pas quarante années de date.
Il y a quinze ans, une Société parisienne séduite par les attraits d’une situation exceptionnelle au bord d’une
baie où les courants chauds de la mer de Bretagne entretiennent un climat constamment tempéré, encouragée par l’accueil favorable qu’elle trouvait, au début, à Pléneuf, la Société de Nittis se
décidait à fonder au Val-André une Station balnéaire. Un peu plus tard (1885), M. Cotard, ancien ingénieur en chef du Canal de Suez et gendre de l’Amiral Jauréguibéry, Ministre de la marine,
restait seul propriétaire, au prix de 90,000 francs, des terrains cédés par la commune, et les progrès de la nouvelle plage furent tels qu’en 1892, ces terrains, indépendamment des constructions
et des nombreux emplacements déjà vendus, n’étaient pas évalués à moins de 822,312 fr. (Rapport d’experts — 17 novembre 1892).
Aujourd’hui, la chapelle de la très hospitalière Communauté est devenue insuffisante, par suite des besoins
religieux du nombre toujours croissant des baigneurs. Le Casino vient
d’être agrandi. Sa salle des fêtes, construite en 1894, avec son gracieux théâtre, aux frais et coquets décors, a permis au public d’élite de la dernière saison d’applaudir des artistes de choix
et même, aux grands jours, de brillants virtuoses.
En faisant bâtir une villa au Val-André, S. Exc. Nubar Pacha nous faisait espérer la venue parmi nous de sa
haute personnalité, mais les intérêts supérieurs qui retiennent en Égypte ce célèbre contemporain en ont jusqu’ici privé la jeune plage.
Jadis, la fraction de grève entre les terres du Guémadeuc et la mer s’appelait « Grève
Saint-Symphorien », du nom d’une chapelle dont une croix indiquait naguère l’emplacement.
De même, mais depuis plus longtemps, a disparu la Chapelle Saint-Michel, située sur Verdelet. Cet
édifice existait encore sous Louis XIV ou Louis XV, époque présumée des vieilles cartes marines dont nous avons été assez heureux pour réunir la collection.
Dans ces cartes, Verdelet nous apparaît plus grand qu’il ne l’est de nos jours.
Par qui étaient desservies ces chapelles ?
Les Annales locales ne nous l’ont point appris, mais il est probable que si la Chapelle Saint-Symphorien,
avec son Minihy, pieux et inviolable asile, fut une fondation des seigneurs du Guémadeuc, la chapelle Saint-Michel était un oratoire ou les gardiens des pêcheries, moines et autres, se
réfugiaient ou priaient en attendant que la marée en se retirant abandonnât les poissons, une fois avec les « écluses », comme on appelle ces barrages sur nos côtes
armoricaines.
La Légende, qu’il ne faut pas toujours faire taire, veut que le sillon joignant l’îlot à la terre ait été
l’œuvre des Moines. A cela, rien d’impossible, les Templiers ayant authentiquement marqué leurs pas dans le pays. La Tour de Montbran, prétend-on, aurait été bâtie par
eux ; d’autres, il est vrai, assurent qu’elle est l’œuvre des Romains, d’autres enfin vont jusqu’à la faire remonter aux Gaulois (Mons Brenni, mont du chef).
Non loin du point culminant de la falaise qui semble tendre à Verdelet, à jamais accaparé par la mer, un bras impuissant à le ressaisir ; tout prés de l’ancien
télégraphe à signaux, les fouilles d’un savant magistrat (M. Former) ont mis à découvert les vestiges, soit d’habitations gauloises, soit d’un télégraphe à feu, à triple foyer, qui, par
d’ingénieuses combinaisons de lumière, devait mettre en communication Erquy, la « Reghinea » des Romains et les points les plus éloignés du pays que domine le château
Tanguy.
Protégée par la falaise dudit château, ancien corps de garde et encore poste de douaniers, la Ville-Pichard
(Villa Piscatorum, village des pécheurs), mérite toujours son nom.
De l’ancien télégraphe, la vue embrasse un vaste horizon, tant du côté de la terre jusqu’au Menez que sur la
baie de Saint-Brieuc, jusqu’au fond de cette baie, vers Yffiniac, écrit dans de vieux actes Y Finiacq, ce qui nous indique son étymologie naturelle et incontestable quoique jadis
contestée Hic finit aqua, ici finit l’eau).
Nous ne mentionnerons que pour saluer le progrès de ses armements le port de Dahouët, dépendant de notre
commune et dont la prospérité se trouve si intimement liée à celle du Val-André.
Dahouët relevait, non de la baronnie, mais de Penthièvre et s’orthographiait d’Aouët ou
d’Aouest sur nos vieilles cartes ; les vents d’ouest qui soufflent sans cesse sur cette côte lui auront fait donner ce nom.
Nous avons déjà, à l’occasion de Verdelet, parle des écluses ou pêcheries. Sur toutes nos côtes, il y avait
de ces « pescheries ». A Pléneuf, la famille Denis se disait noble, comme vivant du noble métier de la mer. Et nous possédons un bail de « pescheries aux mareyries d’Hillion » au prix
de quatre livres tournois, plus un plat de poissons aux Rogations (1675).
Plus loin, sur la route de Saint-Brieuc dont les évoques étaient à la fois seigneurs temporels et spirituels,
Yffiniac était désigné (Contrat du 16 octobre 1705) sous le nom flatteur de « ville et passage », et les notaires de la juridiction et baronnie d’Yffiniac constataient la
comparution devant eux, à cette date, de messire François de la Villéon, chevalier de la Villepierre, « syndicq perpétuel de ladite ville et passage ».
Sans Notre-Dame, le véritable bijou architectural de Lamballe ; à part son haras, dont celte ville est
justement fière, nous n’eussions pas franchi en sa faveur les frontières de la baronnie. La tour octogonale de Saint-Jean est du XVe siècle. Nous ne signalerons, à l’intérieur de cette
église, que son bénitier en marbre, les restaurateurs modernes de Saint-Jean qui, comme Notre-Dame, menaçait ruine, ayant oublié les meneaux de ses grandes fenêtres, et par économie, étant allés
au plus pressé. Au-dessus de ce bénitier, en face de l’entrée principale, Saint Martin y est représenté à cheval au moment où il se dépouille, en laveur d’un pauvre, de son propre manteau. La
succursale (XIe siècle) sous le vocable de ce saint et qui dépendait d’une antique abbaye, se plaint d’avoir été dépouillée jadis de son bénitier, comme saint Martin de son manteau,
avec celte différence que saint Jean ne l’aurait pas laissée libre de le lui refuser.
De même que Notre-Dame de Guingamp, Notre-Dame de Lamballe dut sa solidité et sa beauté à ces
« associations d’ouvriers artistes, les Lamballais, véritables maîtres de la pierre vive », dont la réputation, dés le XIIIe siècle, était déjà répandue au loin. Remaniée à
diverses époques, depuis le XIIe siècle, date de sa fondation, et relevée naguère en partie, celle collégiale (Monument historique) était, à l’origine, la chapelle du château
dont les Promenades occupent la place. Elle avait ses chanoines ou
plutôt ses chapelains, suivant les anciens titres de la collégiale. Il y avait alors à Lamballe quatre recteurs, dont celui de Notre-Dame.
Le chœur de cette église avait été « fortifié par Charles de Blois de parapets et de guérites
de pierres, d’échauguettes ainsi qu’on les appelait », ce côté de Notre-Dame, étant « le plus exposé, vers Saint-Sauveur, aux attaques de l’ennemi » (Quernest, Hist.
de Lamballe). Le même Charles de Blois, de sainte mémoire, y porta processionnellement les reliques de saint Yves, et une princesse de Penthièvre, Marie, de
Luxembourg, future duchesse de Mercœur, y fut baptisée.
Si, à part Notre-Dame, les édifices ne suffisent pas à retenir à Lamballe le touriste chercheur de monuments,
et ne nous y arrêtent nous-même qu’incidemment, il n’en saurait être de même de l’histoire de cette ville. Ses annales sont à la fois celles de notre canton qui, tout en taisant partie de la
baronnie de la Hunaudaye, n’en était pas moins sous la suzeraineté de Penthièvre ; à ce titre, les étoiles qui brillèrent au firmament lamballais furent aussi les nôtres, et ce n’est pas
sans fierté que nous allons faire précéder ce que nous aurons à dire de nos sires et barons d’un aperçu rapide mais général de tant d’autres illustrations.
Le nom de Lamballe a été, de siècle en siècle, porté par des personnages marquants dans l’Eglise, à la Cour
et dans la science. En 1255, un archevêque de Tours, le célèbre défenseur des Ordres mendiants, se faisait appeler Pierre de Lamballe.
Un autre prélat moins connu s’appela aussi Alain de Lamballe. La princesse de Lamballe massacrée en 1792,
était de la maison de Savoie-Carignan ; elle était restée veuve à 19 ans de Louis de Bourbon-Penthièvre, prince de Lamballe.
Un maître de la science chirurgicale, Jobert, membre de l’Institut, avait pris le nom de Jobert de Lamballe,
bien que né à Matignon (1801). Il est décédé à Paris en 1867, mais il a son tombeau à Lamballe. Une inscription, sur ce monument funèbre (à droite, en entrant au cimetière) rappelle les nombreux
titres du défunt.
Le boulevard, près de la gare, s’appelle boulevard Antoine Jobert. A leur tour, deux rues de notre ville
empruntent leurs noms à des généraux lamballais sinon de naissance, du moins de famille : l’un le général de cornemuse dont la mort fut, à tort ou à raison, enveloppée de mystère (on parla
d’un duel avec Saint-Arnaud ; l’autre le général de Lourmel : sa mère habitait le Vauclair en Pléneuf, mais il était à Pontivy où il a sa statue. Un
général contemporain, M. Keiser, est notre compatriote.
La Roche, en Trégomar, près de Lamballe, aujourd’hui au duc de Feltre, ramenait vers nous le général de
Goyon, son père.
Mauny, une des anciennes terres seigneuriales de Penthièvre, appartient au général de Kerhué, commandant du
9e corps d’armée. Mauny, nom d’une aïeule maternelle du comte de Kerhué, lui rappelle qu’il n’est pas un étranger.
Nous réservons pour Pléneuf, berceau du général de La Motte-Rouge, nos hommages à l’une des gloires de notre
pays.
Sans parler du savant abbé Gallet, historien (1647-1726) ; de l’éloquent abbé Cormeaux, prédicateur,
puis homme politique sous la Révolution dont il fut victime ; de l’évêque d’Haïti, Mgr Belouino, sacré à Notre-Dame de Lamballe (mort il y quelques années), nous avons encore le
jurisconsulte Aulanier, auteur du « Domaine congéable » et d’autres ouvrages de droit estimés ; de l’écrivain Mareschal, décédé (1843) archiviste à
Saint-Brieuc ; du peintre Grimaux, etc., tous nés à Lamballe.
Les armoiries de Penthièvre, qui sont les mêmes que celles de sa capitale « d’azur à trois gerbes d’or, 2 et 1 », se rapportaient à sa fertilité. Cette
fécondité était telle qu’elle inspira le dicton ; « Si la Bretagne est un œuf (prononcez eu), Penthièvre en est le moyeu », c’est-à-dire le milieu.
Sans discuter l’origine de Lamballe qu’une opinion controversée attribue aux Ambiliates, relevons
l’étymologie, discutable elle aussi, qu’un historien (l’abbé Deric) a cru pouvoir lui donner : « Lan-pays, Bala-marais ». Les marais, s’il y en eut, ont été desséchés et
la rivière, au cours régularisé, rampe autour des vergers dont les excellentes pommes ont détrôné le raisin des « Vignes », nom gardé par le coteau près du cimetière où son vin, si l’on
n’y avait renoncé tant il passait pour malsain, conduirait fatalement les buveurs.
De Lamballe aux ruines de la Hunaudaye il y a moitié moins loin que de Pléneuf à ce château qui, sous le
rapport des facilités, est un but d’excursion des moins bien partagés.
Plancoët lui-même, avec Corseul (deux stations de la ligne de Lamballe à Lison), Plancoët et Montafilant,
annexes de la baronnie dont ils sont les points extrêmes, doivent être considérés, grâce au chemin de fer, comme tout aussi praticables.
Une ville, de l’autre côté des frontières de Penthièvre, à 15 kilomètres de Lamballe, Moncontour correspond
avec cette gare par un courrier qui, le même jour, prend et ramène les voyageurs. Aux souvenirs de Moncontour se rattache trop intimement l’histoire des sires de la Hunaudaye et du Vaucler pour
que nous n’en disions pas quelques mots. Ce fut même au siège de cette forteresse que se signala René de Tournemine, créé baron à la suite de ce haut fait d’armes.
Lorsque, des points élevés qui dominent cette petite ville, vous jetez les yeux vers la mer, vous avez une idée, réduite par le lointain, de cette large fraction de
Penthièvre dont Lamballe est lui-même le « moyeu ».
Qu’est cette baronnie, avec ses bois qui en sont les ombres, ses collines qui, à cette distance, atteignent à
peine les proportions de taupinières ? Qu’est-ce que ce vaste domaine féodal de plus de 50 kilomètres de longueur pour l’oiseau qui plane, pour l’hirondelle voyageuse qui met à peine
quelques minutes à le traverser, et que sommes-nous nous-mêmes, vus du haut des airs, nous qui nous croyons si grands parce que nous dépassons le niveau de nos sables ?
Espérons que, dans cet autre Vol d’Oiseau des étrangers de plus en plus nombreux dont, chaque été,
nous recevons la visite, nous saurons inspirer de nous une impression digne d’eux, digne de nous et moins fugitive.