CHAPITRE XII
De Montafilant (Corseul) à Planguenoual,
par le Chemin-Chaussé.
Planguenoual, — Jospinet, — Cotentin.
Le chemin des Romains ou Chemin-Chaussé (via calcata), ou encore Chemin-Ferré (via ferrata) « se prenoit à Corseul et donnoit sur Quintin. Il passait par Cambœuf, Plancoët, le Chemin-Chaussé, Saint-Alban, Planguenoual, Yffiniac. De cet endroit, il se prolongeait durant environ 2 lieuës vers Quintin ».
Des localités qu’il traversait et traverse encore, beaucoup nous sont déjà connues : Montafilant et Corseul, Cambœuf, Plancoët, le Chemin-Chaussé et Saint-Alban. Nous avons à reparler de Planguenoual et à suivre de là le très court itinéraire qu’il nous reste à parcourir jusqu’aux Ponts-Neufs, car nous touchons à la limite extrême de notre baronnie, les Ponts-Neufs n’en étant plus.
La route est si belle et si droite, les promenades et les parties de pêches à faire à l’étang que nous rencontrerons, après la Ville-Gourio, sont si engageantes que ce serait vraiment dommage de ne pas y descendre.
C’est cette ancienne voie romaine que nous empruntons, du « Poirier » aux Ponts-Neufs, que nous prenions pour nous rendre du Val-André à Saint-Brieuc, par Pléneuf et à St-Alban, ou par le chemin dit « des Saules » et par Dahouët. La route de Dahouët à Lamballe qui croise, au Poirier, celle de Saint-Brieuc fut ouverte en 1767 et ne fut terminée qu’en 1774. Les Etats de Bretagne, en la décrétant, votèrent dans cette même session 3,000 livres pour « l’escarpement » des rochers gênant l’entrée du port.
Pendant plusieurs kilomètres le Chemin des Romains semble tracé à la règle, et sa ligne droite se profile à perte de vue, traversant le bourg de Planguenoual, longeant à mi-côte les bois de la Ville-Hervé jusqu’à la Ville-Gourio. C’est bien là une voie de conquérants sans souci des propriétés que coupent leurs routes stratégiques.
Planguenoual, dont la suzeraineté paroissiale était disputé au comte de rieux par le puissante maison de La Moussaye, était, avant la Révolution le lieu d’exercice des justices du Hourmelin (m. j.), à messire Le Métaër, de la Villemen (m. j.) à messire de la Villéon, du Val (m. j.) à messire de Rabec, enfin de l’abbaye de Saint-Aubin-des-Bois. L’Ordre de Malte possédait aussi des fiefs en cette paroisse, en Quessoy, en Collinée et Plainte-Haute. La justice des chevaliers s’exerçait à Quessoy.
Pendant la peste qui ravagea Lamballe, au XVIIe siècle (1634), la juridiction ducale de Penthièvre s’établit à Planguenoual et aux Ponts-Neufs.
Le Vaujoyeux, en Planguenoual, avait pour seigneur, en 1722, le père Claude Le Métaër. Messire Claude, écuyer, fut capitaine d’infanterie, il épousa dame Hélène Rebillon, et leur fils, volontaire au régiment de Vermandois, mourut en Corse en 1779. Décédé lui-même à Lamballe en 1791, il fut accompagné au cimetière de Saint-Martin, suivant l’acte mortuaire « par le clergé et plusieurs personnes de distinction ». Le père d’Hélène avait été maire de cette ville.
Le bourg de Planguenoual possède une chapelle (Saint-Michel), en outre de son église dont les deux colonnes du porche menacent de s’écrouler et dont le clocher neuf remplace un clocher foudroyé récemment, en dépit de la protection de Sainte Barbe qui a aussi sa chapelle en cette commune, du côté du Hourmelin. Nous connaissons par l’histoire des désastres de la Ligue, l’incendie de l’ancienne église. Quant à la chapelle Saint-Michel qui borde la route de Saint-Brieuc, son architecture actuelle vaut celle d’une grange. Semblable à un vêtement neuf d’étoffe grossière sur lequel seraient cousues deux loques précieuses, ainsi l’informe maçonnerie de la chapelle n’a conservé de l’ancien édicule que deux haillons dont l’un, une niche renfermant une statuette, est signalé aux passants par son blanc badigeon ; l’autre consiste en une petite porte cintrée avec quelques restes de ciselures. La statuette représente saint Michel sous les traits d’un adolescent, hors de combat tant il est mutilé dans sa guerre contre les ans, et non contre le diable qui ne peut rien à l’Archange, pas même son image.
Un pieux et touchant usage réunit chaque année, en cette chapelle, les laboureurs de la paroisse venant mettre leurs semences sous la protection du dompteur de l’Esprit du mal.
Du bourg de Planguenoual à la mer, un chemin vicinal passant à côté de Saint-Marc, autre chapelle qui, tous les ans, a comme St-Michel, sa fête patronale et son « assemblée », permet de se rendre en voiture à la grève de Jospinet. Cette grève communique avec celle de la Cotentin (Côte en thym), ainsi appelée sans doute à cause du serpolet ou thym sauvage qui tapisse ses falaises.
Plusieurs grottes à visiter, entre autres la grotte à Margot. Le rocher de Roc-Mel, qui n’est jamais complètement recouvert par la mer, est le Verdelet de ces parages. On y fait des pêches non moins fructueuses, aux jours de grandes marées.
Le village de la Cotentin, assez difficile d’accès pour les voitures, serait agréable aux promeneurs avec ses fontaines et ses bouquets d’arbres, sans les fumiers au-devant des maisons et le purin débordant des étables vers les ruisseaux qu’ils souillent, vers les mares qu’ils infectent, au préjudice de l’agriculture et au détriment de l’hygiène.
Pour s’y rendre par le chemin de Jospinet, on quitte ce chemin à la croix du Val, et l’on prend l’avenue conduisant au château. A la grille du château, on tourne vers la droite, et l’on gravit une montée croisant brusquement l’avenue d’où l’on repart dans la direction du village.
Le Val, dont les terres vont jusqu’à la mer, vient d’être reconstruit sur de nouveaux plans. Il ne reste qu’une aile de ce qui fut bâti, peu d’années avant la Révolution, par M. de Rabec qui s’intitulait « Seigneur de Planguenoual » (Dossier du Prédéro). Ce dernier, alors directeur de la Compagnie des Indes, avait acheté de la famille de Châteaubriand le manoir de Prédéro qu’il avait démoli. Les matériaux servirent à celui du Val, en partie remplacé aujourd’hui.
Quant au Prédéro, il fut, à la suite du trop fameux cataclysme financier de la Compagnie des Indes, revendu avec le Val. C’est actuellement une gaie maison de campagne, un nid de verdure au travers de laquelle on entrevoit les murs blancs de sa villa.
Il ne sera pas sans intérêt local que nous remontions à l’acte de vente passé, le 28 mai 1768, entre Madame de Châteaubriand et M. de Rabec, acquéreur du Prédéro. Voici les qualités des parties :
« Entre Eulalie-Marie-Renée de la Goublaye épouse et non communiaire en biens de messire Jean-Jules-Joseph de Châteaubriand, chevalier dudit nom et de la Guérande, demeurant au manoir noble de Prédéro, paroisse de Planguenoual, d’une part ;
« Et discret messire Gabriel de Rabec, sieur abbé dudit nom et chanoine de l’église cathédrale de Saint-Brieuc, au nom d’écuyer Jacques de Rabec, son frère, conseiller secrétaire du Roy, maison et couronne de France, et directeur général de la Compagnie des Indes, seigneur du Val, de la Nervelle, vicomte de Porpily et autres lieux, demeurant en la ville et archevêché de Paris, etc. »
Quant aux notaires rédacteurs, ils s’intitulent : « Notaires du duché de Penthièvre, Parie de France, et demeurant en la paroisse de Notre-Dame et Saint-Jean, et de la juridiction de l’ancienne baronnie de la Hunaudaye et annexes, au siège du Chemin-Chaussé et de la Villauvais ». (Archives de Prédéro).
Une ferme de Planguenoual rappelle, par son nom, « la Corderie », celui des cordiers, nom exécré s’il en fut.
A l’occasion des derniers devoirs rendus à Mathurin Rouault, cordier de cette paroisse, il fallait l’intervention (22 avril 1716) des seigneurs du pays, le recteur (messire de la Villéon) en tête, pour le faire enterrer au bas de l’église « proche des fonts ».
Exhumé dans la nuit du 29 avril, par les paroissiens révoltés, le corps du « caquin » fut porté au cimetière spécialement réservé aux morts de cette profession méprisée. La justice, aidée de la force armée dut intervenir pour faire restituer à sa première sépulture le malheureux cadavre, les juges ecclésiastiques de Saint-Brieuc ayant requis les archers de la maréchaussée.
Jusqu’à son inhumation définitive, le corps du cordier, retiré du cimetière où les paroissiens l’avaient déterré fut mis en dépôt à Saint-Michel de Saint-Brieuc où on « sala », en attendant la sentence et son exécution.
Ce ne fut que le 15 mai qu’eut lieu cette cérémonie, et il en coûta 700 livres aux paroissiens de Planguenoual (inhumation, transport et frais de procès, salaison comprise).
Le manoir de la Ville-Gourio, en Planguenoual, jadis à la maison de la Villéon n’offre plus que des ruines sans intérêts.
Au futur chancelier de Bretagne (Chap. V) qui fut un des témoins dans le procès de Pierre Landais (1485), ajoutons : en 1378 Olivier de la Villéon, ambassadeur breton envoyé par la comtesse de Penthièvre auprès du Roi de France pour protester contre la confiscation de la Bretagne (Dom Morice, tome I, p. 416) et Rolland de la Villéon, qui, à Ancenis, intervint, comme Procureur de Penthièvre, en 1394, dans le procès entre le duc de Bretagne et Olivier de Clisson (Dom Morice, tome I, p. 421).
Un chemin plus direct va de la route de Dahouët à Planguenoual ; il est à droite, à une centaine de mètres environ du pont.
Le manoir du Prédéro, « avec droit de colombier, relevait des seigneuries de la Hunaudaye, de Montafilant, de Châteaubriand, du Vaucler, du Hourmelin et de la Villauvais, prochement et noblement » (Anciens contrats).
Dans l’un de ces contrats, le comte de rieux (1771) prend les litres de « Baron de la Hunaudaye et de Montafilant, seigneur de Plancoët et des Vauclers, marquis de Sourdéaz, vicomte de Pléhérel, en son hôtel à Paris, six rue du Cherche-Midy, paroisse Saint-Sulpice ».
L’adresse de M. de Rabec était ainsi libellée : « la première maison attenante au Palais-Royal, rue Neuve des Petits-Champs, Paris ».