CHAPITRE V
I
Le Chemin-Chaussé, siège de juridiction
de la Hunaudaye
« pour les paroisses éloignées de Plancoët »
La justice se rendait au Chemin-Chaussé au nom de « haut et puissant seigneur, monseigneur le baron de la Hunaudaye ». Dans les contrats, dans les jugements rendus, ce minuscule siège de juridiction était pris tellement au sérieux qu’on le qualifiait de ville, ni plus ni moins que Montbran.
Or, ce n’était « à proprement parler qu’une rue (comme aujourd’hui), cette rue séparant les paroisses de la Bouillie et de Hénansal. Le Chemin-Chaussé a néanmoins toujours porté le nom de ville, quoique bien des hameaux auraient plus d’apparence, si l’on n’y voyait pas trois ou quatre enseignes de cabaret qui sont saillantes sur la rue. C’est le siège de la juridiction de la Hunaudaye pour les paroisses qui sont trop éloignées de Plancoët, et il y a un auditoire qu’on peut véritablement appeler rustique ».
Il faut lire les lettres de Mme de Châteaubriand qui venait d’être jugée (1785) par le tribunal « rustique » du Chemin-Chaussé, au vicomte de Rabec son acquéreur, pour voir comme, à cette époque, les plaideurs malheureux se gênaient peu pour maudire les magistrats « ignorants ». Tout rustique cependant qu’il était, ce tribunal comportait un juge, un procureur fiscal et un greffier. Une de ses feuilles d’audience (17 décembre 1787) constate que, ce jour, « le procureur fiscal est absent, son substitut présent », et que siège « le lieutenant et unique juge d’icelle juridiction ».
Il y avait aussi à faire valoir des droits de fondation en l’église de la Bouillie, avec les « patronage et présentation » en la chapelle du Chemin-Chaussé, tous droits que le comte de Rieux abandonnera au comte de la Villethéart.
Ce qui pourrait à la rigueur justifier les prétentions de ville de notre petit chef-lieu judiciaire, ce sont les découvertes que l’on y a faites de nombreuses monnaies romaines, indices du centre présumé populeux que traversait le Chemin-Chaussé (via calcata) dont ce village a gardé le nom. En 1825 et 1847, des trinaires de Constantin ; en 1850, des pièces de Maximin ont été trouvées aux alentours.
II
Saint Guillaume et la Légende du Chemin-Chaussé
Sur la route de Pléneuf à Saint-Alban, à gauche de la côte que l’on gravit au pas avant ce dernier bourg, on aperçoit sur l’autre versant une toute petite chapelle, sorte de monument funéraire, comme on en voit tant dans nos cimetières. C’est sur ce riant coteau que naquit le futur évêque de Saint-Brieuc, Guillaume Pinchon (Saint Guillaume), mort en 1234.
Une légende veut que le saint, revenant de Matignon, demandât l’hospitalité au Chemin-Chaussé. On ne voulut l’y recevoir que moyennant paiement. Les prétentions de l’hospitalité demandée de porte en porte dépassant les ressources de sa modique bourse, le saint dut laisser son bréviaire en gage, mais en avertissant les habitants du Chemin-Chaussé qu’en punition de leur manque de charité, les murs de leurs maisons ne pourraient tenir debout.
De la, il se rendit à l’hôtellerie Abraham, en Saint-Alban, où ses compatriotes, auxquels il ne se fit pas tout d’abord reconnaître (il faisait nuit), l’accueillirent et l’hébergèrent sans plus se préoccuper de rémunération. Leur générosité reçut sa récompense.
A partir de cette époque, le Chemin-Chaussé a cessé d’être ville, les maisons s’écroulent à mesure qu’on en bâtit. C’est le contraire à Saint-Alban ; les plus vieilles constructions restent intactes, comme pour témoigner du miraculeux contraste.
Notes de 1781. — Curieux logis à visiter, en face de l’ancien auditoire que l’on m’a désigné, au Chemin-Chaussé, sous le nom d'ex-Justice de paix. Cette vieille construction (XVe siècle) à la façade ornée de pierres ciselées parmi lesquelles nous avons cru reconnaître une potence, emblème de la haute justice. A l’intérieur, très délabré, rien à voir si ce n’est une cheminée supportée par deux colonnettes en granit, du même style que celles de la Hunaudaye, avec écusson dont les armoiries ne se distinguent plus.