CHAPITRE II
I
La Forêt de la Hunaudaye
Les bois de la Hunaudaye s’étendent entre Lamballe et Plancoët sur une superficie de plus de deux mille hectares. Cette forêt s’est appelée d’abord Lanmur, au XIIIe siècle, et nous la voyons ainsi désignée dans un acte transactionnel, passe entre Pierre Mauclerc et Olivier de Tournemine qui, en 1214, et du consentement d’Alix, héritière de Bretagne, reçut en échange de biens maternels, plusieurs paroisses auxquelles le duc ajouta la possession de la forêt de Lamballe, autrement dite de Lan-mur.
Selon du Fail, elle aurait été connue jadis sous le nom de Forêt Noire.
Enfin, depuis plusieurs siècles, elle s’appelle la Forêt de la Hunaudaye.
La fraîcheur de ses ombrages sert, l’été, d’abri aux chevaux et aux vaches des riverains, qui s’y repaissent tout à leur aise. Ces animaux vaguent en liberté, une clochette au col, broutant l’herbe que les feuilles mortes engraissent de leurs couches fécondantes, et, le soir quand les bestiaux se rassemblent, le son de toutes ces clochettes est le seul bruit qui vienne, avec celui de quelque Angélus lointain, rompre le silence des solitudes de la forêt.
Si par hasard, le flair des chevaux, qui ne les trompe pas, vient à leur signaler le loup, l’instinct les réunit. Se groupant de façon à ne présenter que la ruade à l’ennemi, ils sont rarement surpris et ne succombent guère que lorsqu’ils sont isolés.
Malheur au cheval qui se laisse surprendre ! Un soir d’hiver, à l’heure où les arbres commencent à se confondre dans la même ombre, le châtelain du Vaumadeuc et son fils regagnaient leur logis quand tout à coup le galop d’un cheval, assourdi par la neige, les fit prêter l’oreille. Au même instant, un loup s’enfuit. Une barrière était fermée : évidemment le fauve s’apprêtait à profiter de l’obstacle eu sautant à la gorge de l’animal trop épuisé pour le franchir.
Ouvrir, et il n’était que temps, fut l’affaire d’une seconde et le salut du cheval qu’un second loup poursuivait. Le coup manqué, le rabatteur mystifié n’eut plus qu’à rejoindre son complice ; un hennissement, presque un râlement, tant il était faible, salua la délivrance.
C’est encore, et toujours la lutte en ces bois, mais on n’y dévalise plus, et ce n’est pas nous, au moins, qui en sommes les victimes. Sous ce rapport, Paris, la nuit, est loin de valoir la Hunaudaye.
II n’en a pas été toujours ainsi.
En 1355, une chasse au sanglier est donnée, à la Hunaudaye, en l’honneur de messire Eder de Beaumanoir. Eder, tout entier au plaisir de suivre la meute qui vient de lancer un solitaire, tombe, lâchement assassiné.
En 1384, un évêque de Saint-Brieuc est dévalisé en traversant la forêt.
Au temps où la reine Anne la traversa, la souveraine ne put elle-même se soustraire aux procédés de son « amé et féal cousyn », le sire de Tournemine, qui mit le comble a la galanterie en faisant arrêter sa suzeraine « qu’il venoit de festoyer ».
L’histoire de cette province est malheureusement pleine des exemples de ces hospitalités loyalement acceptées et transformées par les « féaux » en traquenards, comme à l’Hermine et à Champtoceaux.
Revenant donc du château où « elle fust bien festoyée, Anne fut prinse prisonnière par les gardes des boys du dict messire et baron, car le dict avoir ce privilège que quelque personne passant par les dicts boys, suns son congé ou licence, est à sa volonté de le confisquer corps et biens »
La veille, le seigneur de la Hunaudaye avait eu l’attention de déguiser en loups deux de ses hommes et de les faire déposer aux pieds de la reine une « biche enchaînée à son grand déplaisir et malheur ». Sans doute était-ce une allusion discrète à sa propre « prinse », méditée pour le lendemain, par ces autres fauves que l’on appelait les gardes !
« Toutefois, le dict baron fut-il gracieux à la dicte, dame, en lui donnant sa ranson ».
Il est vrai qu’Anne chevauchait à la tête de ses grands seigneurs à travers la forêt, et que si elle ne se fut prêtée de bonne grâce à l’impertinent caprice de son vassal, les gardes des boys du très haut et puissant messire eussent fait piteuse contenance au moindre signe de la souveraine de France et de Bretagne.
Non loin du château de la Hunaudaye, dont les ruines sont en Plédéliac, tandis que le Vaumadeuc est en Pleven, ce manoir, encore habitable et habité, servait de rendez-vous de chasse aux sires de la Hunaudaye. C’était le Meyerling de la baronnie, mais en plus petit, et sans que le moindre drame ait ensanglanté les pages de son histoire.
Il a toujours ses trois étangs et ses taillis que le sanglier visite à ses heures.
Sa façade n’a de remarquable que la porte d’entrée et des fenêtres Renaissance avec cordon de granit à l’extérieur ; son escalier en pierres de taille et ses superbes cheminées où flambent, l’hiver, de véritables troncs d’arbres, rappellent le XVIe siècle et l’existence facile d’autrefois.
Sur la route qui mène de Pleven à Lamballe, à quelques kilomètres plus loin, et toujours dans la forêt, on aperçoit comme des logements de grande ferme. C’est ce qui reste de l’abbaye de Saint-Aubin-des-Bois, fondée en 1137 par Geoffroy Botherel, comte de Penthièvre et de Lamballe. Protégée au siècle suivant par Guillaume Pinchon (Saint Guillaume), évêque de Saint-Brieuc, qui obtint de Pierre Mauclerc une charte en sa faveur, elle échappa plus tard aux guerres de la Ligue, mais ses moines trouvèrent dans la garnison de la Hunaudaye un voisinage qui sentait son huguenot et dont on se fût bien passé. Etant de Penthièvre, non de la Hunaudaye, l’isolement du monastère au milieu de la forêt rendait plus redoutables encore les exigences de ces soudards. Cette partie de forêt a conservé le nom de Bois de Saint Aubin. Au point de vue du chauffage, jamais moines ne furent mieux partagés. Une charte de Penthièvre les autorisait à abattre, pour leur usage, tout le bois qui leur serait nécessaire. Leur jardin fournissait à leur frugalité d’abondants légumes et de succulents fruits. On a conservé dans le pays une espèce de vigne, dite de Saint-Aubin, dont le raisin est particulièrement savoureux.
Il y avait encore, à la Révolution, cinq moines à l’abbaye lorsque la persécution sanglante vint les frapper. Un seul se sauva, par la fenêtre.
Successivement, maison de retraite pour la vieillesse des prêtres du diocèse et maison de fous, l’ancien monastère a été en partie démoli quand les aliénés et les frères de Saint-Jean-de-Dieu qui les soignaient ont été transférés à Dinan, aux « Bas-Foins ». On ne voit plus aujourd’hui de l’abbaye qu’un corps de logis servant de magasin de bois et de logement de garde.
Le cartulaire de Saint-Aubin, très intéressant à fouiller comme mine historique, est à la préfecture des Côtes-du-Nord depuis le transfert de Lamballe à Saint-Brieuc des Archives de Penthièvre.
II
Le Saint-Esprit des Bois
De l’autre côté du château de la Hunaudaye, dans le voisinage de la forêt, le Saint-Esprit des Bois était doté d’un Prieuré. Sa chapelle, que le dernier prieur lit ériger en succursale, continue à être desservie par le clergé de Plédéliac.
Le dernier titulaire du prieuré, qui dépendait de la Hunaudaye, était (avant la Révolution) le fils du régisseur général de la baronnie, l’abbé Minet « licencié de l’un et de l’autre droit ». En outre des bénéfices attachés à cette situation, son titulaire avait la « chapelainie de Du Guesclin », c’est-à-dire qu’il profitait des avantages d’une fondation pieuse du Connétable dans l’église Saint-Sauveur de Dinan.
L’abbé Minet cumulait les charges de prieur du Saint-Esprit et de recteur de Plédéliac. Il jouissait enfin des privilèges réservés à l’une des chapelles de la cathédrale de Rennes. Le procès-verbal de prise de possession de la chapelle de Saint-André (14 août 1751), dressé par les notaires « apostoliques » de cette ville, constate que les chanoines récalcitrants en avaient fermé les grilles ; mais le père du jeune abbé, qui ne se déconcertait pas pour si peu, car il était homme de loi, passa la main entre lesdites grilles et dit : j'y suis « manu ». Il n’ajouta pas « j'y reste », quoique, de fait, il y restât.