Carnet de route de Pierre Esnoux d'octobre à décembre 1944.
21 octobre 1944
De bonne heure ce matin on nous prévient que nous allons monter en ligne pour relever le 1er bataillon d’Ille et Vilaine. Chacun reçoit l’armement personnel (cartouchières pleines, environ 100 balles plus quelques grenades). Au petit jour nous partons en direction des avant-postes ; arrivés à proximité des postes nous sommes dispersés en deux colonnes de chaque côté de la route et chaque homme est à environ cinq mètres de son voisin. La relève se fait en silence et quand nos fusils-mitrailleurs sont en position la garde descendante se prépare au retour, les sentinelles sont relevées et une heure après tout est fini. Nous occupons la ligne. Silence et quand nos fusils-mitrailleurs sont en position la garde descendante se prépare au retour, les sentinelles sont relevées et une heure après tout est fini. Nous occupons la ligne.
J’interroge un des camarades qui descendent au repos avant qu’ils nous quittent :
- " Ça barde par ici ? "
- " Oui et non, de temps en temps ils viennent nous rendre visite et nous balancent quelques grenades, aussi il nous faut une garde vigilante car ils cherchent surtout à faire des prisonniers. "
Maintenant le jour est levé et nous voyons plus clair. Mon premier regard est devant moi ou sont les lignes ennemies. Nous sommes derrière un talus et devant nous une prairie avec de grands arbres ; à gauche un chemin creux, dangereux pour nous et favorable pour les "boches", ou est placée une mitrailleuse. A part quelques coups de fusil lointains aucun bruit ne se fait entendre et l'on peut dire "secteur calme". A midi c’est mon tour de garde jusqu'à deux heures. Je suis ému, comme tous mes camarades, à l'idée de penser que l'on est devant les boches et que l'on est responsable de la vie des copains qui se trouvent derrière. Ma garde se passe très bien et à deux heures l'on vient me remplacer; je lui passe les consignes et le mot de passe, puis je rentre dans le gourbi, une sorte de casemate faite avec des troncs d'arbres et enfouie sous terre avec deux marches à descendre. Dans un coin se trouve un appareil téléphonique posé sur une étagère. Au fond s'entasse un peu de paille ou l'on devra dormir aux moments calmes. A 3 heures je mange, mais avec peu d'appétit car ma pensée est ailleurs. L'après-midi se passe à préparer ce lieu ou nous allons peut-être vivre de longues journées et nous préparons les munitions. Au dehors c'est toujours très calme et la journée se déroule sans incidents. Le repas du soir est vite avalé et nous regardons la nuit tomber en silence sur la prairie. Maintenant la nuit est tombée et certains écrivent, d'autres lisent ou fument; je discute avec le chef de poste qui est mon grand ami car nous sommes du même village et l'on se remémore nos souvenirs d'enfance ou l'on jouait à la petite guerre. Ce temps nous paraît loin et maintenant l'on ne joue plus.
A 20 heures tout le monde est allongé sur la paille humide mais personne ne dort et mille idées se forment dans nos pensées: " reviendrons-nous tous?"… Mais la fatigue me gagne et bientôt je m'endors. A 3 heures je suis réveillé puisque c'est mon tour de garde. Je suis vite prêt car aucun de nous ne se déshabille ni ne retire ses chaussures. Je m'avance dans la tranchée et arrive près de mon camarade qui me passe les consignes et le mot de passe.
Il se retire après m'avoir dit :"Tout va bien." Peu à peu mes yeux s'habituent à l'obscurité : la prairie est devant moi. Un fusil mitrailleur ainsi qu'une mitrailleuse sont chargés. Pendant mes 2 heures de garde je reste immobile, attentif aux moindres bruits. De temps en temps j'aperçois une lueur suivie d'un coup de canon tiré au loin ou encore un coup de fusil avec sa balle traçante, le cri d'une chouette ou alors le cri de ralliement d'une patrouille "boche". Ma garde se termine sans incident mais ces 2 heures m’ont paru interminables.