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28 juillet 2008 1 28 /07 /juillet /2008 19:23

En octobre, Gilles Martin-Chauffier, rédacteur en chef à Paris-Match, publiera « Le roman de la Bretagne libre » aux Editions du Rocher, 

Des héros oubliés réapparaissent et des fausses valeurs se fracassent. Parmi eux, la duchesse Anne dont, en exclusivité, voici quelques-unes des pages qu'il lui consacre. Polémique garantie.

[…] Evidemment, c'est une bambine. Née le 25 janvier 1477, elle a 11 ans et demi. Petite et frêle, elle n'est pas très belle. Comme des milliers de ses compatriotes affligés de la hanche bretonne, elle boite légèrement. Sa bouche est trop grande, son front trop haut et son nez trop court. Mais elle a déjà été promise dix fois en mariage. L'oiseau, même petit, a des plumes. On oublie ses yeux quand on voit la Bretagne. De toute manière, à cette époque, en ces sphères, choisir une femme pour sa beauté, c'eût été comme manger un oiseau parce qu'il chante bien ! Là n'est pas la question. Il ne s'agit plus de défendre l'indépendance mais de la négocier. Malgré son jeune âge, Anne va se battre toute seule. Son père était un fossile et ses conseillers des girouettes. Elle le sait, elle est déjà méfiante, elle n'accorde sa confiance que du bord de l'âme et elle va vite prouver son caractère !

Par testament, François II avait confié sa fille au maréchal des Rieux et à Françoise de Dinan. Ils ont un projet : en finir avec les divisions internes de la Bretagne, marier Anne à un grand seigneur du pays, la couronner, souder le duché et, ensuite, résister à la France. Pour cela, ils ont également un homme : Alain d'Albret. Imaginez le prince charmant et vous aurez son parfait négatif. Il a 48 ans, déjà huit enfants, des manières de soudard et une démarche de bûcheron. Il boite, le vin lui sort par les yeux et, envahi par la couperose, son visage écarlate est raviné par les rides. C'est Quasimodo. Il a la sensualité d'un mammouth. Mais c'est un Rohan, sa première femme et ses enfants sont des Blois-Penthièvre, il est cousin des Rieux, Louis XI lui faisait confiance et Anne de Beaujeu lui attribue ses missions délicates. Pour unir le duché et négocier sereinement avec la France, il présente de gros atouts. D'ailleurs, il a des amis partout. Bientôt, une de ses filles épousera même César Borgia, le fils du Pape. Quand il pose sa demande, il ne doute pas une seconde de son succès. Malheureusement pour lui et pour tout le monde, ce sont les yeux qui choisissent, pas la bouche. Sa simple vue provoque des haut-le-coeur chez la petite duchesse. Elle refuse. Une fois pour toutes. Malgré des mois de pression permanente, elle ne reviendra jamais sur son dégoût. A 12 ans, il faut déjà compter avec elle.

[…] Les conseillers de la duchesse le savent. A moins d'un coup de théâtre, la partie est jouée. Donc, ils tentent l'impossible. A nouveau, ils offrent la main d'Anne à Maximilien d'Autriche. Il a 33 ans, il est veuf, il règne déjà sur l'Allemagne, sera bientôt empereur, passe pour un érudit, adore l'horticulture, compose de la poésie, protège les humanistes et pensionnera bientôt Durer. Il règne sur la moitié de l'Europe et, en plus, il est beau. Dernier atout : les fiefs des Habsbourg sont bien lointains ; la géographie aidera fatalement le duché à rester indépendant. Le coeur d'Anne et sa raison approuvent le projet. Dans le plus grand secret, les négociations sont menées et le contrat rédigé. A peine l'encre sèche, Anne convoque les Etats de Bretagne à Vannes et, le 16 décembre 1490, leur fait ratifier son mariage. Sur quoi, ventre à terre, elle rentre à Rennes et se précipite à la cathédrale où l'attend le beau, le très beau Wolfgang de Polham, maréchal de l'Empire et ami intime de Maximilien, le grand uhlan au regard de glace dont rêvent les bergères. Mieux encore : après la bénédiction nuptiale, la noce rentre au château, banquette puis monte dans la chambre où Anne se met au lit et observe Wolfgang ôter une botte, desserrer ses justaucorps, retrousser son pantalon et glisser un appétissant mollet duveté de blond sous la couverture où son petit pied l'attend. L'accouplement s'arrêtera là et l'autre botte ne quittera pas terre mais le mariage est symboliquement consommé. Anne triomphe. La petite hirondelle enfermée dans sa cage vient de s'octroyer une prise de faucon. Elle s'endort tout sourire. Ce sourire, malheureusement, s'il a donné des fleurs, ne donnera pas de fruit. Charles VIII et Anne de Beaujeu veillent.

[…] Deux mois plus tard, la duchesse devenue reine se venge. Le 8 février 1492, quinze jours après son quinzième anniversaire, dans la basilique de Saint-Denis, pour la première fois de l'Histoire de France, la souveraine a droit à un sacre personnel et solennel. Il s'agit de signifier clairement à l'Europe que seul le mariage avec Charles VIII est valide. Et la petite fille en satin blanc a la joie perverse de voir sa traîne portée par la Beaujeu elle-même. Pauvre régente : elle n'a que 31 ans et cette péronnelle haute comme trois pommes lui indique déjà la porte de sortie. Dès le premier coup d'oeil, elles se détestent. Mais la nouvelle Première dame se moque de tels états d'âme. La souris n'a pas à téter les mamelles de la chatte et Madame de Beaujeu n'aura qu'à regagner ses terres. Anne est altière et ne laisse personne piétiner ses plates-bandes. De toute manière, elle voit l'avenir en rose. D'autant qu'à sa propre surprise, Charles ne lui déplaît pas tant que ça. Il n'est pas beau, il n'est pas grand, il n'est pas cultivé mais, enfin, il n'est pas laid non plus, il est très costaud et, tout compte fait, il est assez tendre. Les premiers mois, ils dorment ensemble presque chaque nuit. Ces vigoureuses collisions réchauffent agréablement et, mieux encore, tiennent leurs promesses. A l'automne, elle s'installe au Plessis-lez-Tours, un château magnifique de style gothique flamboyant que Charles met à sa disposition. Elle y mène son monde, déjà nombreux, dans un lieu majestueux où une galerie à arcades finement sculptées fait le tour d'une vaste cour d'honneur. L'endroit est magique, c'est là qu'elle doit accoucher. Et, en effet, le 10 octobre 1492, le dauphin naît. Un bébé superbe, bien potelé, plein de vie, déjà vigoureux. Etrangement, Charles exige qu'on le baptise Orlando, un prénom italien en harmonie avec ses projets de conquêtes du côté de Naples et un hommage à Roland, son héros préféré de la saga carolingienne. La Cour n'en revient pas. Le prochain roi s'appellera Orlando Ier ! Est-ce que Charles VIII serait aussi cinglé que son arrièregrand- père Charles VI ? Pendant trois jours, les conseillers luttent contre cette lubie et retardent le baptême. Finalement, on se met d'accord sur un compromis : le premier bébé d'Anne s'appellera Charles-Orland !

[…] La France, pourtant, ne désarme pas. Louis XII, le nouveau roi, active ses propres réseaux. On a tous beau savoir qu'on n'introduit pas deux doigts dans une narine, lui veut prouver le contraire et se glisser là où Charles l'a précédé. Cette petite Anne, il ne connaît qu'elle ! Il l'a vue grandir. Encore duc d'Orléans, quand il dirigeait les troupes de François II, il la faisait sauter sur ses genoux. Il a toujours bien aimé cette bambine. Et c'est réciproque. Leurs rapports politiques mais aussi personnels, leurs pensées et leurs arrièrepensées, leur penchant l'un pour l'autre et leur méfiance l'un à l'égard de l'autre, tout s'emboîte à merveille comme deux pièces de menuiserie. D'autant qu'Anne a une très haute opinion d'ellemême. Reine elle fut, elle n'épousera qu'un roi.

Cela réduit ses choix car elle est également pressée. A 21 ans, elle ne se voit pas du tout réduite à un rôle de veuve éternelle. La petite tête de Louis est pointue tout comme son menton, ses yeux ont l'air de pousser hors de leurs orbites, il n'est pas bien haut et ses épaules ne sont pas bien larges mais, au fond, elle pourrait tomber plus mal. Quand on est reine, chercher l'amour, c'est chercher un métier.

L'employeur a un certain charme. Il n'est certainement pas plus bête, ni plus mufle, que Charles. Elle se fera très bien à lui. D'autant qu'il a déjà 36 ans. L'usure fait son chemin. A cet âge, le devoir conjugal commence à suffire aux besoins physiologiques de ces messieurs. Il ne la trompera pas trop.

[…] La France n'est pas un appartement sans cloisons. Abattre les murs entre la pièce rouge et la verte n'en crée par une nouvelle, bleue. Et la mémoire des Bretons, pour être pleine de trous, n'en est pas moins tenace. La rivière peut bien se jeter dans un fleuve, elle conserve sa source. La Bretagne hiberne et s'éloigne de son destin mais respire toujours. Sa frontière s'est effacée mais la cicatrice qui l'a remplacée n'a pas disparu. […] La France a englouti le duché. Mais elle ne l'a pas digéré. Dans le ventre du cachalot, Jonas vit toujours. Parfois le futur décide d'attendre dans des maisons très anciennes.

Co-publié dans l'Interceltique, le magazine du festival interceltique de Lorient, été 2008.

Article sur : Agrence Bretagne Presse

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